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L’enseignement des deux langues officielles au Québec

L’enseignement des deux langues officielles au Québec

Par Julie Hamel [Translate]

Qui ne se souvient pas de ses cours d’anglais au primaire ou au secondaire? L’expérience s’avérait agréable ou ennuyante selon l’enthousiasme de l‘enseignant ou le niveau de l’élève.

De façon générale, le cours d’anglais langue seconde se comparait aux autres matières, mais pour certains, c’était un curieux mélange du bizarre et du cruel, comme si la matière avait été créée quelque part dans l’espace sur une autre planète.

La difficulté de reproduire les sons, de comprendre les textes à l’oral ou d’en écrire, ce qui déjà, dans une langue maternelle, est un tour de force, ne sont que quelques facteurs qui ont pu en décourager plus d’un. Toutefois, ayant enseigné dans les secteurs francophone et anglophone, je peux affirmer sans hésiter que l’expérience du français langue seconde est la même pour les anglophones du Québec.

L’anglophone se tortille autant la mandibule en voulant prononcer les R et les EU ou les OU, que les francophones avec les L silencieux qui se trouvent devant les D (les would et les could) ou les fameux TH qui se prononcent de deux façons et donnent l’impression d’avoir un poil sur la langue. Et les faux amis, ces mots qui se ressemblent mais qui ne veulent pas du tout dire la même chose : lecture, formation, instruction et direction, pour n’en nommer que quelques-uns. Alors que le S pluriel en français s’écrit mais ne se dit pas, il est toujours prononcé en anglais. Bref, de quoi faire une bouillie pour chat égyptien tentant d’apprendre le chinois. Pas étonnant qu’il y ait autant de dyslexie dans les deux cultures avec toutes ces exceptions et ces sons qui correspondent à plus d’une représentation visuelle, d’où l’apparition fréquente d’anxiété linguistique. Comme l’appareil phonatoire est très différent chez l’un comme chez l’autre, les anglophones auraient sûrement plus de facilité à apprendre une langue germanique et les francophones, une langue latine.

Les impacts de l’attitude politique des apprenants n’est pas à négliger. Quoi de pire pour enlever le goût d’apprendre une nouvelle langue que de la percevoir comme celle de l’ennemi! Voilà de quoi jongler pour l’enseignant d’une langue seconde (L2) qui est aux prises avec une panoplie de variantes dans sa classe : en plus de devoir répondre aux besoins d’une clientèle éclectique, il doit se tenir à l’affût des transformations de cette langue qui est toujours en mouvance. Et pour couronner le tout, l’enseignement des deux langues est obligatoire! Bref, l’enseignement de la langue seconde au Québec tient de l’acrobatie.

Pas de recette miracle

Il existe autant de méthodes que d’écoles de pensée pour l’enseignement des langues. Certains proclament qu’il ne faut jamais balbutier un traître mot de la langue (L1) de l’élève. D’autres s’y complaisent pour sauver du temps, ou parce que leur propre connaissance de la L2 est défaillante. Il n’y a pas de recette miracle pour apprendre, quelle que soit la matière. Si une composante manque à l’équation dite parfaite (l’attention, l’étude, l’assiduité, la curiosité, la mémoire, et j’en passe.), l’apprentissage ne sera pas systématique, surtout si la motivation intrinsèque n’y est pas.

La clé pour motiver des apprenants demeure la variété. La dictée est un moyen efficace pour enraciner le sonore et l’orthographe d’une langue, mais elle risque d’en assommer plusieurs si c’est la seule méthode exploitée et si, de plus, l’étudiant ne comprend rien à ce qu’il entend.

Expliquer un concept grammatical dans la langue de l’autre est aussi une façon efficace d’assurer une meilleure compréhension si, bien sûr, la langue maternelle est bien arrimée. L’étudiant qui n’a jamais compris la conjugaison des verbes dans sa L1 aura tout autant de difficulté, sinon plus, à s’y retrouver dans sa L2.

Il est essentiel pour l’enseignant d’être à l’affût de l’engagement de l’étudiant : certains font semblant d’avoir compris pour éviter l’humiliation, d’autres n’écoutent même plus ou se fient au voisin pour comprendre. Il existe autant d’obstacles à l’apprentissage qu’il y a de méthodes ou d’apprenants.

Apprendre une langue seconde est aussi une question de musique: si on ne pratique jamais son instrument, on ne saura jamais en jouer. Et n’est pas musicien qui veut! L’apprentissage d’une langue seconde est graduel, requiert une patience infinie et de l’indulgence. Il faut savoir accepter l’erreur sans passer sous la guillotine.

La langue seconde est un enrichissement et non une contrainte

Enseigner la langue seconde au Québec est aussi un acte exigeant à cause de la culture de l’autre dont on se méfie, alors que parler plus d’une langue permet de résoudre des conflits ou de les éviter. Combien de fois ais-je entendu des commentaires, d’une part et d’autre, qui frôlaient le racisme! Moins on connaît la langue et la culture de l’autre, plus on sort des généralités grossières. Il faut comprendre que ce n’est pas le fait de parler la langue de l’autre qui efface son identité culturelle. L’identité culturelle doit s’enrichir au contact d’autrui. Parler une autre langue, c’est aussi une extension de soi. L’enseignant comprend donc qu’il ou elle ne peut se comporter en impérialiste. La motivation ne tient pas de la dictature, au contraire. Donner le goût de s’investir demande du doigté et du respect. La langue seconde ne s’arrête pas à un cumul de vocabulaire. Enseigner une langue seconde est un partage culturel, un donnant – donnant, car chaque langue recèle une vision du monde qui diffère de la nôtre. Par exemple, en français, on boit comme un trou, mais en anglais, on boit comme un poisson. En français, il pleut des clous (ouille), en anglais, il pleut des chats et des chiens (les pauvres). La langue de l’autre est aussi pleine de petites parcelles d’histoire. Ainsi, en 1706, la langue officielle en Grande-Bretagne était le français à cause de la Conquête Normande, d’où les mots « quantity » et « quality » qui viennent du français quantité et qualité, comme toutes ces expressions culinaires (à la mode, au gratin et bon appétit) qui sont encore utilisées aujourd’hui en anglais. En français, Le mot redingote nous vient de l’anglais « riding coat » et le mot folklore de « folk » (peuple) et « lore » (coutumes). Il y a belle lurette que ces deux langues partagent le même toit, pour le meilleur et pour le pire.

Le langage appartient à un monde civilisé

Le Québec est un milieu riche pour apprendre les deux langues officielles; nous sommes entourés d’anglais et de français. L’occasion pour pratiquer l’une ou l’autre est toujours propice. Pourquoi faut-il que l’apprentissage de la L2 ressemble à une corvée alors que la communication relève du quotidien? Un homme d’affaire que je côtoyais à une certaine époque se plaignait, un jour, du fait que l’affichage sur les routes était uniquement en français, alors qu’avant, l’affichage était bilingue. Je n’ai pu résister à la tentation de lui demander comment il se faisait qu’il n’arrivait toujours pas à déchiffrer l’information en français après tant d’années. Comment se fait-il qu’une serveuse francophone n’arrive pas à prendre une commande toute simple en anglais? Comment se fait-il que tant de gens refusent de baragouiner quelques mots de la langue seconde pour faire preuve de bonne volonté ? Comment se fait-il que tant de gens ne parlent pas leur L2 au bout d’une dizaine d’années, surtout ici au Québec? Le langage est l’expression même de notre humanité, essentiel comme l’eau et l’air. Ce n’est pas une arme, au contraire. Sans lui, il n’y a pas de civilisation. On se doit de goûter à la langue de l’autre pour mieux chérir la sienne, tous les jours, une bouchée à la fois.

Julie Hamel enseigne l’anglais et le français langue seconde depuis un peu plus de 20 ans aux trois niveaux: primaire, secondaire et collégial. Elle est aussi traductrice à la pige, à l’occasion et poète, et elle enseigne au Collège de Valleyfield depuis 5 ans.

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