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Demander la permission pour aller aux toilettes? Non merci!

Demander la permission pour aller aux toilettes? Non merci!

Par Chad A. Donohue

« Est-ce que je peux aller aux toilettes? »

J’ai longtemps réfléchi à cette question que posent tellement d’enfants dans les écoles des quatre coins du pays. Il est tout naturel que les jeunes élèves demandent la permission d’aller aux toilettes. Le problème, ce n’est pas l’utilisation même des toilettes, mais bien le fait de sortir de la classe. Ça, je l’ai bien compris. Les enseignants veulent savoir où sont leurs jeunes en tout temps.

Mais à partir de quel âge les élèves devraient-ils pouvoir cesser de demander la permission? Les dernières années du primaire constituent d’excellents contextes pour se pencher sur la question. Ce sont des classes dans lesquelles les enseignants peuvent apprendre à graduellement lâcher prise. Les permissions pour aller aux toilettes représentent à cet effet un premier chantier intéressant.

Mon but n’est pas d’expliquer comment aller aux toilettes. Je ne suis pas à ce point intime avec mes élèves après tout! Je veux plutôt décrire comment je montre aux élèves à aller aux toilettes sans avoir à l’annoncer à tout le monde. Près de la porte se trouve un babillard avec une fiche de sortie. À côté de la fiche, un stylo attaché. Au-dessus de la fiche, du papier construction couvert de papillons adhésifs. Chaque papillon contient un tampon de mes initiales. Ce sont les laissez-passer que peuvent utiliser les enfants pour sortir de la classe. À leur retour, ils mettent le laissez-passer au recyclage. J’ai abandonné les laissez-passer permanents il y a quelques années. Un ami venu me voir en classe, jetant un coup d’œil au grattoir qui faisait office de laissez-passer et qui pendait à côté de la porte, s’était en effet exprimé : « Les élèves apportent ce truc aux toilettes depuis des années et tu l’as encore ici? »

Il existe toujours la possibilité d’une urgence du genre « tassez-vous-du-chemin-ça-presse ». J’en suis tout à fait conscient. Je dis à mes élèves que je n’en ai jamais été réellement témoin, mais que c’est possible. Cependant, exception faite des urgences, voici mes règles pour les visites aux toilettes :

  • choisir un moment convenable;
  • vérifier la fiche de sortie pour voir si une autre personne est déjà à l’extérieur;
  • inscrire l’information nécessaire (date, nom, heure, destination);
  • prendre un papillon et y écrire l’heure;
  • se rendre immédiatement à sa destination et revenir tout de suite après;
  • inscrire sur la feuille l’heure de retour;
  • retourner calmement à sa place ou à son espace de travail.

J’explique par la suite que les règles continueront de s’appliquer pour autant qu’on n’abuse pas du privilège. « À votre âge, dis-je, vous avez la maturité nécessaire pour gérer vos envies. Je n’ai pas à demander la permission pour aller aux toilettes pendant les réunions du personnel. Si vous savez bien vous comporter, ce ne devrait pas être nécessaire pour vous non plus. Je vous considère comme de jeunes adultes. Je veux que vous soyez à l’aise dans ma classe. On parle beaucoup d’hydratation de nos jours, et je me rends compte que ça fait augmenter le nombre de fois où nous allons aux toilettes. Je ne veux pas provoquer de situations embarrassantes. Si vous êtes mature, je ne vois aucune raison de vous empêcher d’aller aux toilettes. »

Ma méthode élimine aussi la gêne que peut entraîner le fait de demander la permission en public. À la fin du primaire, les élèves changent sur le plan physique et émotionnel et en viennent à utiliser les toilettes pour de nombreuses raisons. De plus, interrompre le déroulement de la classe peut être à la fois humiliant et dérangeant. De la même façon, le fait d’exiger de tous les élèves qu’ils demandent une permission ne tient pas compte des particularités culturelles de certains enfants. Enfin, demander permission peut être quelque chose d’extrêmement difficile pour les introvertis.

Tout le monde a ce terrible souvenir d’un élève solitaire assis à son bureau, les mains au visage et pleurant à chaudes larmes, une flaque d’urine sur le plancher. Je ne veux pas être tenu responsable d’une telle chose.

Le rôle des enseignants relativement à ma stratégie est triple :

  • vérifier la feuille de sortie pour voir si les élèves y inscrivent toute l’information nécessaire;
  • demeurer attentifs aux tendances qu’ils observent, notamment chez un élève qui montre des signes inquiétants (par exemple, s’il sort toujours à la même heure jour après jour, il est peut-être temps d’aller lui parler entre les classes). C’est aussi une bonne idée de conserver les fiches de sortie au cas où on aurait besoin de vérifier une information;
  • regarder s’il y a des incidences sur les résultats scolaires. L’élève choisit-il mal ses moments pour sortir? Manque-t-il du contenu important? Le cas échéant, une discussion s’impose.

Je connais des systèmes dans lesquels les élèves ont droit à un nombre de laissez-passer pour aller aux toilettes par trimestre ou se voient attribuer un billet de retard s’ils y vont, mais ces techniques semblent arbitraires et inutiles. Ce sont des exemples de règles utilisées depuis si longtemps sans que nous ayons eu malheureusement le temps de les décortiquer pour voir si elles étaient réellement équitables.

Chad Donohue est enseignant de niveau intermédiaire à Monroe, État de Washington. Il est aussi chargé de cours à l’université en rédaction et en discours oratoire.