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Révélations d’un professeur canadien de musique en Extrême-Orient

Révélations d’un professeur canadien de musique en Extrême-Orient

par Verne Lorway [Translate]

Souhaitant élargir mon expérience dans l’enseignement de la musique, j’avais decide de traverser un océan ; je suis donc arrivé à Hong Kong en août 2004. Ce faisant, j’ai découvert qu’enseigner une discipline artistique c’est en réalité l’apprendre lorsqu’on l’enseigne dans un milieu culturel très différent du sien.

L’école était un établissement secondaire en partie subventionné par le gouvernement, allant de la première à la septième année. Comme dans le système britannique, les élèves y préparaient leur certificat d’études de Hong Kong dont l’examen se passait à la fin de la cinquième. Deux ans avant mon arrivée, l’école comptait essentiellement des élèves de la Chine continentale. Depuis, les administrateurs scolaires avaient décidé de suivre le English Medium of Instruction. Cela voulait dire qu’un maximum de 10 p. 100 des élèves acceptés en première venait de la Chine continentale. Le reste venait de l’Inde, du Pakistan, du Népal et des Philippines.

Dès mon premier jour de classe, on me remit un manuel précisant le programme de musique à enseigner aux élèves de 13 à 15 ans dans les petites classes du secondaire (de la première à la troisième). La musique étant obligatoire pour ces élèves, ma charge d’enseignement comportait onze classes de quarante-cinq élèves chacune. Selon les directives du manuel, je devais enseigner à la fois la théorie et l’histoire de la musique occidentale, ainsi que la flûte à bec.

Si le manuel prévoyait l’étude d’opéras chinois traditionnels et d’instruments de l’orchestre chinois classique, il était rédigé presque entièrement selon une perspective occidentale. De nombreux exemples d’écoute et de questions d’analyse structurelle s’appuyaient sur certaines « grandes » oeuvres de la musique classique de l’Ouest. Dès le début, je me suis demandé si ce programme s’appliquait vraiment à des élèves venant de pays de l’Asie du sud et du sud-est. Et, si non, que pouvais-je faire de différent pour répondre aux besoins de mes élèves, avec les ressources dont je disposais ?

Au début des cours généraux de musique, je me suis rendu compte que le programme ne permettait pas au plus grand nombre d’élèves de la plus petite classe de participer. Beaucoup d’entre eux ne souhaitaient pas étudier la musique classique occidentale. Chez eux, la plupart des élèves d’Inde, par exemple, écoutaient les traditionnels ragas de leur pays ou les chansons pop hindi. Attendu que j’étais en Orient, comment pouvais-je faciliter pour mes élèves l’apprentissage de la musique, alors que les méthodes que j’avais acquises avec les années semblaient plus adaptées à des élèves occidentaux ? J’avais l’impression qu’ils ne répondaient pas vraiment à la musique que j’enseignais, principalement en raison de nos differences culturelles. Or, il n’existait pas de documents pédagogiques pour les élèves de ces cultures. Alors, comment pouvais-je rejoindre mes élèves ? Il n’y avait pas non plus de documents pédagogiques pertinents pour les élèves de ces cultures.

Après avoir approfondi la question, certaines choses m’ont conduite sur un chemin tout à fait différent. Cette voie inconnue, ainsi que la découverte de la musique d’autres cultures, m’a beaucoup appris sur l’enseignement et l’apprentissage. Unesérie d’activités, notamment, m’ont aidée à voir que, jusque là, j’enseignais de mon point de vue d’Occidental et non de leur point de vue d’Orientaux. Ces memes activités m’ont permis d’enseigner la musique selon une perspective plus orientale.

Avec l’appui de l’administration, j’ai décidé de jeter par la fenêtre (façon de parler) le manuel de musique de Hong Kong. J’ai découvert qu’en transmettant l’aspect culturel de ma musique, le folklore et le rock des Maritimes, par exemple, je piquais l’intérêt des élèves. J’ai donc commencé à leur apprendre des chansons canadiennes. Je me disais que, pour eux, ces chansons étaient animées et agréables. Je les accompagnais au piano, mais je remarquais leurs difficultés à rester dans le ton lorsqu’ils chantaient.

Un jour, un élève apporta une chanson hindi bien connue, tirée d’un film populaire. En écoutant la chanson, dans laquelle abondaient trémolos et quarts de tons et qui était basée sur des gammes largement inconnues pour mes oreilles occidentales, je commençais à comprendre pourquoi de nombreux élèves avaient du mal avec la musique que je leur présentais. Cette musique-là était d’ailleurs belle, et je me demandais comment l’utiliser en classe afin de permettre aux élèves d’échanger leurs chansons.

Entre-temps, une élève des Philippines avait fait, de son proper chef, une très bonne présentation sur la musique de chez elle avec une courte histoire de son pays et les effets des changements nationaux sur sa musique. Sa présentation s’accompagnait d’une chanson en tagalong qu’elle a apprise à la classe. De mon côté, je découvrais certains éléments de base de la culture philippine : en raison des influences espagnoles et américaines, la musique de ce pays comptait force nuances occidentales. Alors que je commençais à enseigner les harmonies en classe de musique, j’observais que de nombreux élèves des Philippines parvenaient à changer les harmonies et à en ajouter de nouvelles.

Peu après la présentation, un élève du Népal m’a demandé de lui apprendre à jouer une chanson népalaise à la guitare. Il avait avec lui, enregistré sur bande, un air plutôt moderne, chanté dans un style folklorique par un orchestre népalais contemporain. J’ai noté les accords et les lui ai appris. Quelques jours plus tard, il est revenu avec des amis qui m’ont demandé de leur apprendre la partie voix, la basse et la batterie. J’ai accepté de les aider et de faire l’adaptation de la chanson pour leur groupe.

J’ai travaillé pendant des heures avec ces élèves, les aidant à mettre au point une version qui leur plaise. Cet enseignement m’a permis d’acquérir une expérience précieuse. Le fait de les guider dans la recherche du son qui leur convenait, de chercher à respecter leur style de musique, m’a obligée à abandonner certaines de mes propres notions musicales occidentales. J’ai découvert que la hauteur, le mètre et le rythme sont des idées que construit la culture. Par exemple, certains mètres variables m’étaient étrangers, ainsi que des phrases de différentes longueurs qui provenaient de nombreuses chansons pop de l’Occident. Le plus difficile pour moi était d’écouter avec suffisamment d’attention pour percevoir les changements qui émergeaient lorsque les élèves jouaient. Lorsqu’ils improvisaient, ils changeaient de temps en temps le mètre dans la musique à des endroits non écrits sur la musique dont j’avais fait l’adaptation avec eux. Et pourtant, ils faisaient ces changements ensemble. Et comme ils m’avaient demandé de jouer au clavier, j’apprenais à modifier avec eux à ces moments-là.

C’est ainsi que les élèves ont commencé à venir de plusieurs cours, apportant des chansons traditionnelles de leur pays en me demandant de les apprendre à la classe. Je crois que beaucoup d’entre eux ressentaient le besoin de voir valider leurs propres idées culturelles dans le programme d’études. A mesure que je gagnais leur confiance, le cours de musique semblait le lieu où cela devenait possible. J’ai alors commencé à apprendre aux élèves des chansons en ourdou, en tagalog et en népalais. Nous avons ajouté des harmonies vocales, de la guitare, une basse et la batterie pour nombre d’entre elles. J’ai compilé, à leur intention, un manuel des chansons de l’Est et de l’Ouest, avec les adaptations instrumentales.

Les cours généraux de musique sont devenus plus intéressants pour les élèves (et pour moi) qui, maintenant, jouaient et chantaient en classe et étaient plus ouverts à la théorie et à la notation musicale. Ils étaient plus désireux d’apprendre la musique des pays de leurs camarades. J’avais l’impression d’avoir vraiment réussi lorsque des élèves des Philippines demandaient une chanson de l’Inde, ou lorsqu’un élève du Népal demandait à chanter une chanson des Philippines. Une fois, trois élèves du Népal ont appris à un camarade de Chine à faire du rock drumming. Adepte du tambour traditionnel chinois, leur ami apprit rapidement.

Je crois que la plus grande réussite, tant pour les élèves que pour moi, a été la création d’une chorale à l’école. Pendant les répétitions, une jeune pakistanaise a été la première à apprendre un solo dans une pièce chorale occidentale, un solo pour soprano tout à fait different de la musique pakistanaise traditionnelle qu’elle connaissait mieux. Néanmoins, elle a chanté le solo d’une voix haute et claire. Puis des élèves de tous les pays représentés à l’école ont rejoint les rangs de la chorale. Des garçons et des filles d’Inde, du Népal, du Pakistan, des Philippines, d’Égypte et de Chine sont venus aux répétitions et ont chanté lors d’un spectacle final d’une demi-heure à l’occasion de la collation des grades. Tout le monde travailla extrêmement bien ensemble.

En enseignant le programme de Hong Kong dans le context multiculturel de l’école, j’ai rencontré plusieurs difficultés : le programme de musique comportait bien des démarches et du materiel dont l’empreinte était tout à fait occidentale ; et pourtant, les élèves venaient de traditions musicales riches, principalement orientales, laissées de côté. J’ai donc eu à réorganiser ce programme et à fournir des documents d’accompagnement pour répondre aux besoins de mes élèves. L’autre difficulté, c’est que je ne connaissais pas vraiment, au départ, leurs traditions musicales, en particulier la musique qu’ils écoutaient tous les jours et dont ils parlaient en famille. Cependant, après avoir écouté et étudié ces traditions, le programme de musique a véritablement progressé.

À bien des égards, l’enseignement en Asie est analogue à l’enseignement au Canada. Dans une société de plus en plus pluraliste, j’ai la chance de rencontrer constamment une population estudiantine plus diversifiée. En conservant un esprit ouvert et le désir de refléter les multiples perspectives de mes élèves, j’espère les aider à découvrir que l’échange est une forme d’apprentissage au sein de la classe. Je crois en effet qu’au Canada, l’échange est le fondement d’une classe multiculturelle saine et épanouie, conviction qui m’a aidé, ainsi que mes élèves, durant notre cheminement en Extrême-Orient.

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