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On inspire, on expire

On inspire, on expire

La santé physique, mentale et émotionnelle comme vecteur d’apprentissage pour les enfants

Par Lisa Tran

Le matin, quand la cloche sonne, les enfants retournent en classe pour les leçons du jour. Mais sont-ils réellement prêts à s’atteler à la tâche? Téléphones intelligents, tablettes, problèmes familiaux, intimidation, hyperactivité et attentes vis-à-vis des résultats scolaires sont autant de sources de stress ou de distraction pour les élèves. Comment peut-on alors préparer ces élèves à intégrer la matière à voir? En assurant leur santé non seulement physique, mais aussi mentale et émotionnelle. Le yoga et la pleine conscience prennent justement beaucoup en popularité dans nos classes, pas nécessairement parce qu’ils sont à la mode, mais parce qu’il s‘en dégage des principes d’ouverture d’esprit, de connexion avec le corps et de maîtrise de la respiration. Par des exemples scientifiques concrets, de telles techniques nouveau genre instillent chez les élèves une conscience d’eux-mêmes et favorisent une perception optimiste des choses. Ce n’est qu’en neutralisant tout ce qui se passe dans la tête des enfants qu’on peut les rendre véritablement aptes à apprendre.

Le yoga est apparu en Inde il y a au moins 2 500 ans. C’est un art dans lequel les participants « se concentrent uniquement sur les sensations de leur corps, et ce, par la respiration », explique Janet Williams, enseignante au primaire et professeure de hatha-yoga à Mississauga en Ontario. En sanskrit, « yoga » signifie « atteler » comme ce qu’on fait avec les bœufs pour labourer un champ. « Le yoga permet d’atteler notre esprit à notre corps pour qu’ils travaillent à l’unisson et optimisent ainsi notre santé », ajoute Mme Williams. Cette dernière enseigne le yoga depuis 1996 et s’est aujourd’hui spécialisée dans le yoga pour les enfants. Elle donne d’ailleurs des ateliers et a son propre matériel pédagogique à cet effet. Gourou à sa manière, elle souligne tous les bienfaits du yoga, surtout pour les enfants : « Il améliore la force, la flexibilité et l’équilibre et accroît le sentiment de bien-être. Les enfants sont ensuite disposés à apprendre parce qu’ils ont oxygéné leur cerveau par la respiration profonde. Il n’y a pas non plus de compétition, tous les enfants ont la chance de réussir. »

Les postures du yoga se prêtent à de nombreux contextes : sur de grands tapis dans le gymnase de l’école ou de petits tapis en classe, sur le gazon à l’ombre d’un arbre ou même à côté des pupitres. Il existe des ressources comme celles créées par Mme Williams pour guider les enseignants à faire participer les élèves et à proposer des postures moins difficiles. On renomme ensuite les postures imprononçables telles que « balasana » et « savasana » en « posture de la souris » et « posture de l’étoile » pour que les enfants reconnaissent les formes qu’on leur demande. Dans une classe de jeunes, le yoga comporte d’excellents exercices d’échauffement et de retour au calme parfaits pour la détente et le regain d’attention. « Les élèves se calment et retrouvent un état d’équilibre général », de préciser Mme Williams.

La respiration est au centre du yoga. La respiration profonde, surtout à la veille d’un examen, envoie de l’oxygène aux amygdales, ces parties du cerveau qui réagissent rapidement, mais dont les décisions sont limitées. Les amygdales sont en effet une structure de décodage des émotions qui déterminent notre réaction à un stimulus menaçant. La personne qui respire lentement calme les amygdales et peut ainsi prendre des décisions rationnelles en faisant appel à d’autres parties du cerveau.

Aux contestations entourant l’enseignement du yoga aux enfants, Mme Williams répond que le yoga est un exercice et non une religion. Elle dresse plutôt un parallèle avec les athlètes professionnels qui ne vivent que pour leur sport sans qu’on ne les accuse d’endoctrinement. Le yoga ne fait pas exception à la règle.

À Abbotsford en Colombie-Britannique, l’enseignante Julie Loland a fait appel à une technique similaire dans sa classe de 5e année : la pleine conscience. Travaillant à l’école élémentaire Terry Fox, une école d’élèves en situation précaire, elle explique :
« Je voyais que les enfants arrivaient à l’école sans être préparés à apprendre parce que leur situation n’était pas rose du tout à la maison. Nombreux étaient ceux pour qui l’école était le dernier de leurs soucis. Ils se demandaient plutôt comment ils allaient réussir à avoir leur prochain repas ou si leur mère allait être à la maison lorsqu’ils reviendraient. » Elle est d’avis que la majorité des enfants allaient à l’école pour oublier leur pauvreté et la balayer du revers de la main. Elle voulait que « les enfants soient prêts à recevoir les notions du jour ».

Jon Kabat-Zinn décrit la pleine conscience comme l’art d’appliquer à dessein, moment après moment, un état d’esprit ouvert et sans jugement 1. Ayant découvert la pleine conscience dans le cadre de sa recherche de maîtrise, Mme Loland s’est dit que ce pourrait être une solution au stress des élèves par l’éducation sociale et émotionnelle, la promotion de la réussite scolaire et le développement de la fonction exécutive 2.

Mme Loland a intégré la pleine conscience dans sa classe d’abord à l’aide d’exercices de respiration et de concentration sur ce que ressentent les élèves sur le moment. Son approche était loin de l’ésotérisme : elle faisait appel à la science, notamment l’anatomie de base et la physiologie du cerveau. Elle a d’ailleurs expliqué à ses élèves que l’hippocampe contrôlait la mémoire et que les amygdales prenaient des décisions rapides selon l’émotion vécue, soit tout le contraire du cortex préfrontal dont les décisions sont rationnelles. La respiration profonde calme les amygdales et permet
d’« explorer d’autres avenues pour prendre nos décisions », comme le disait Mme Loland à ses élèves qui ont totalement adhéré à la chose.

La respiration contrôlée durait au début 30 secondes et s’est graduellement allongée à 5 minutes. Mme Loland faisait adopter des postures confortables pour ses élèves et leur expliquait comment respirer : inspirer par le nez puis expirer par la bouche en regardant l’estomac se gonfler et se vider et en ne portant attention qu’à la respiration. Mme Loland encourageait les élèves à ne pas se laisser emporter par leurs pensées, mais a ajouté que ce n’est pas bien grave si la chose arrivait à condition qu’ils en aient conscience et soient capables de revenir au moment présent. « La classe était tellement tranquille. C’était fantastique d’avoir tout le monde concentré et sur la même longueur d’onde », de se rappeler Mme Loland.

Respirer, deviner les saveurs de bonbons et écouter activement les sons de la classe étaient autant d’activités qui montraient aux élèves à avoir pleine conscience de leurs sens et à réguler eux-mêmes leurs pensées. Mme Loland a aussi créé la « bouteille de conscience », une bouteille à boisson gazeuse ordinaire remplie d’eau et de paillettes. Les élèves n’avaient qu’à secouer la bouteille s’ils se sentaient fâchés ou contrariés et à regarder les paillettes redescendre pour se calmer et penser rationnellement.

Les premières activités de pleine conscience mises de l’avant par Mme Loland étaient accessibles pour les enfants qui ont pu ainsi découvrir leur propre conscience. Elle a appliqué les mêmes techniques en résolution de problèmes, de conflits d’opinions et de mésententes. Les élèves se sont conscientisés à leurs propres pensées et à celles de leurs camarades, à leur entourage et au contrôle qu’ils ont sur ces éléments.

L’expérience a été couronnée de succès pour les élèves de Mme Loland. « Les activités de pleine conscience étaient vraiment simples et ont su aider concrètement les enfants tout au long du processus. » Dans son mémoire, Divided No More: A Living Inquiry Into Wholeness, Mme Loland énumère certains des bienfaits de la pleine conscience : le soulagement du stress, la capacité de prendre de bonnes décisions, la capacité de centrer son attention, la régulation du corps et des émotions, la baisse des émotions négatives, l’acceptation de soi et un milieu d’apprentissage globalement amélioré. Les élèves se sont aussi montrés émotionnellement réceptifs dans leurs journaux. Beaucoup ont affirmé que l’expérience les avait aidés à surmonter des difficultés, à résoudre des désaccords, à gérer la colère et la tristesse et à prendre du recul face à certaines situations. Quelques-uns ont même dit que la pleine conscience les avait honnêtement aidés lors d’événements malheureux ou douloureux.

À l’instar de Mme Williams, Mme Loland craignait qu’on s’oppose à la pleine conscience et qu’on lui colle l’étiquette de religion. Mais, après avoir obtenu l’approbation de ses supérieurs, envoyé une lettre d’information aux parents et organisé une discussion avec les élèves sur le cerveau, la seule opposition avec laquelle elle a dû jongler est celle des enfants-vedettes plus vieux. « Respirer, ah oui? »

La pleine conscience et le yoga ne se résument pas seulement à la relaxation et à la respiration. Ils comportent aussi des exercices très simples dont les bienfaits sont considérables. Ils enseignent la conscience de soi et l’autorégulation en plus d’être des mécanismes pour solliciter la raison et la mémoire au lieu des émotions, des outils dont sont actuellement dépourvus les enfants dans leur apprentissage. Lorsque les enfants stimulent leur esprit et leur corps, lorsqu’ils réagissent bien et qu’ils appliquent ce qu’ils savent, le succès est assuré. Ce n’est qu’à ce moment qu’on transforme réellement leur manière d’apprendre. Pour ceux qui ne sont pas encore entièrement disposés à apprendre, il n’y a donc qu’un mot à dire : respire!


1KABAT-ZINN, Jon. Mindfulness-Based Interventions in Context: Past, Present, and Future, University of Massachusetts Medical School, 2003, p. 145.
2LOLAND, Julie. Divided No More: A living inquiry into wholeness, Université Simon Fraser, Surrey, 2012, p. 3.

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