Les enseignants apprennent le pas de deux
Les enseignants apprennent le pas de deux
par Martha Beach [Translate]
La danse est un langage. C’est une façon de communiquer qui n’exige rigoureusement aucune parole. Elle est bénéfique pour tous les élèves, simple à enseigner et facile à intégrer dans les activités quotidiennes de la classe. Et pourtant, en raison d’un manqué de formation et donc d’un manque de confiance en eux, les enseignants, dans l’ensemble du Canada, se montrent réticents à enseigner la danse en classe.
« La danse fournit aux élèves un autre langage pour exprimer ce qu’ils pensent et ce qu’ils ressentent », explique Christine Jackson, coordonnatrice du programme artistique au Conseil scolaire de district de Toronto (TDSB). Pour ceux qui ont de la difficulté à communiqué par les moyens traditionnels – examens écrits, redactions et exercices – la danse est une façon de partager ses sentiments.
Pour les élèves, la danse peut être bénéfique à bien des égards. « La danse communique les émotions, la culture et les qualities abstraites. Elle enseigne la concentration, l’agilité, la communication, le sens de la communauté et la compassion », précise Janice Pomer, professeure de danse et auteure. « Grâce à la danse, nous développons esprit critique et communication non verbale », ajoute-t-elle. Elle écrit des manuels sur la danse et dirige des ateliers de danse moderne, d‘improvisation et de chorégraphie à Toronto. Les élèves doivent d’abord interpreter de façon critique leurs émotions, ensuite ressentir empathie et compassion pour pouvoir recréer ces sentiments et les communiquer aux autres.
Selon Mme Pomer, « la danse, c’est être en lien ». « Nous aidons les jeunes à améliorer la coordination corps-esprit, ce qui leur permet d’être plus conscients de leurs réactions aux événements. » Les élèves sont en lien avec eux-mêmes, avec leurs pensées, avec les autres et avec le milieu qui les entoure. La danse peut aussi être un moyen d’exprimer de façon positive colère, souffrance, crainte et autres émotions complexes. Néanmoins, la danse ne peut pas être bénéfique si elle n’a pas déjà été intégrée dans la classe. « Il est difficile de faire de l’arithmétique dansée si on n’a pas déjà établi un langage chorégraphique », fait remarquer Mme Pomer. Voici une façon simple, pour les enseignants de l’élémentaire, de commencer à élaborer un vocabulaire de la danse. Mettre en place une routine quotidienne d’étirements et de travail musculaire. Tout ce qui peut faire bouger les élèves, mais peut être fait sur place entre les bureaux, est un moyen simple d’incorporer la danse. Commencer par quelques étirements simples, bras vers le haut puis vers le bas. Ensuite, travailler un mouvement rythmique sur place (sauter, par exemple), quelques combinaisons faciles avec bras et jambes, ou quelque chose d’amusant comme des activités de cirque ou des poses de karaté. Pour terminer, laisser les enfants se détendre avec une pose facile de yoga (l’arbre ou le chat qui s’étire) ou un simple mouvement d’équilibre. Le tout ne doit durer qu’une dizaine de minutes.
Ann Kipling Brown, professeure d’initiation à la danse à l’Université de Regina, propose de laisser les élèves choisir leurs mouvements pour leur permettre de créer leurs combinaisons. Lorsque les enfants utilisent leurs propres expressions, ils en apprennent advantage sur la façon dont le corps bouge. « Utiliser son mouvement et non pas un mouvement imposé par un adulte, c’est le vocabulaire particulier de l’enfant », précise-t-elle.
Dans la classe, la danse est bénéfique tant pour l’enseignant que pour l’élève. « Si un(e) enseignant(e) a déjà intégré la danse ou le mouvement dans sa classe, il (elle) y aura recours pour re-concentrer les élèves », fait remarquer Mme Pomer. Ainsi, si les élèves sont vraiment agités pendant un cours de maths, leur faire faire quelques petits mouvements rythmiques sur place pour faire circuler le sang et l’oxygène, et pour les aider à clarifier leur pensée.
La danse peut également améliorer la compréhension. Selon Christine Jackson, « les enfants sont des apprenants kinesthésiques ». Et Ann Kippling Brown ajoute que les petits aiment avoir des accessoires, tels que des rubans ou un parapluie, lorsqu’ils dansent. Les accessoires peuvent être utilisés individuellement ou collectivement; toutefois, le partage des accessoires aident les enfants à se comprendre mutuellement. « Ils doivent apprendre à faire des choses ensemble, à être responsables ensemble », ajoute-t-elle. Nombreux sont les élèves qui comprennent mieux un sujet lorsqu’ils en font l’expérience, le visualisent. On peut avoir recours à la danse pour enseigner les maths, les sciences, l’histoire, le français et les sciences socials de façon concrète. Ainsi, on partira du mouvement pour illustrer le déplacement des neutrons ou on étudiera la symétrie à partir de la forme du corps humain. De même, on pourra enseigner les fractions en demandant aux élèves de se mettre en groupes ou leur apprendre des danses du Moyen-Âge ou d’autres folklores. Enfin, demander aux élèves d’interpréter un poème ou les personnages d’une histoire. Faire l’expérience physique des idées aide les élèves à les visualiser et à les comprendre.
Pourtant, Ann Kipling Brown émet quelques réserves à propos de l’utilisation de la danse comme outil pour enseigner d’autres sujets. « Vous perdez l’intégrité de la danse », dit-elle. Lorsqu’un enseignant utilise simplement la danse pour faire son travail, mais ne l’enseigne pas séparément, les élèves ne créeront pas leur vocabulaire de la danse. Elle précise « qu’il faut étudier la danse et son cadre conceptuel ». La danse doit être enseignée séparément et non pas être utilisée simplement comme outil pour enseigner d’autres matières.
Même les élèves des grandes classes peuvent créer leur vocabulaire de la danse. Mme Pomer propose qu’ils tiennent un journal sur la danse. Ils y noteront leurs remarques sur le mouvement dans la vie de tous les jours, qu’il s’agisse du mouvement de la circulation ou de celui de leur équipe sportive préférée. Ils pourront aussi y coller des articles ou des photos sur la danse, découpés au cours de leurs lectures. Après deux semaines, ramasser les journaux, relever des observations communes et s’en servir pour dégager un thème. Demander à de petits groupes d’élèves de monter une chorégraphie, par exemple sur leur trajet quotidien entre la maison et l’école. Fixer un temps limité pour la production et vérifier régulièrement l’avancement du travail. Lorsque la chorégraphie est prête, leur faire presenter leur réalisation puis discuter en groupe du processus créatif.
En effet, le processus créatif ne se limite pas à la danse finale. Le travail des élèves doit être théâtral et physique, mettant en jeu les émotions, l’esprit critique et l’interprétation. Chacun des arts est en lien avec les autres car il s’agit d’interpréter des émotions pour un public, et on peut y parvenir par le biais de l’art visuel, de la danse ou du théâtre.
À Toronto, le Oakwood Collegiate n’est pas un établissement specialize en art ; cela ne l’empêche pas d’offrir un programme artistique bien développé. « Nous avons un programme artistique spécial qui encourage les élèves à avoir une idée de tous les sujets artistiques », déclare Heather Saum, professeure de danse à Oakwood. Effectivement, les élèves sont mis en contact avec toutes les formes d’art.
Pour les élèves, les professeurs d’art établissent des liens entre toutes ces formes. « Cela leur permet de considérer la danse comme une option viable dans la vie », précise-t-elle. La plupart des élèves d’Oakwood ne suivent pas de cours de danse en dehors du collège. Aux élèves qui lui disent qu’ils ne savent pas danser, elle rétorque « si vous savez bouger, je vous forme à la chorégraphie ».
Christine Jackson a directement participé à l’ajout de la danse au programme des beaux-arts à Toronto. Le TDSB a tenu des sessions de toute une journée pour former les enseignants aux moyens concrets d’intégrer la danse dans les programmes. « Les ateliers sont excellents », précise Ann Kipling Brown. « Les enseignants en ont besoin et ils en profitent vraiment ». Dans la plupart des grandes villes on trouve des groupes de danse qui offrent des séminaires aux enseignants et aux élèves. S’il n’y a pas de formation proprement dite possible, Mme Pomer propose de repérer les enseignants qui ont une expérience sur le mouvement et qui se sentent à l’aise pour enseigner la danse. Leur demander de montrer aux autres enseignants comment utiliser et mettre en place un vocabulaire de la danse en classe.
Bobbi Westman, directrice générale de la Alberta Dance Alliance (ADA), insiste sur l’importance de faire enseigner la danse spécialisée par des professionnels ou par des enseignants qui ont été forms par des professionnels. L’ADA a beaucoup poussé pour que la danse tienne une plus grande place dans le curriculum de l’Alberta car, actuellement, celle-ci n’en tient qu’une toute petite dans la filière des beaux-arts. « Il s’agit d’une forme d’art bien définie ; elle doit donc être enseignée par des personnes qui savent de quoi elles parlent », précise Mme Westman. Heather Saum est d’accord : « La danse est une activité physique et il faut savoir qu’on peut se faire mal » ajoute-t-elle. Mme Saum est dûment formée comme danseuse et titulaire d’une maîtrise en danse.
Au Canada, la danse est intégrée dans la plupart des curricula. En Saskatchewan, elle fait partie du curriculum de base. Tous les enfants de la 1ère à la 8e année doivent avoir au moins cinquante minutes de danse par semaine et de nombreux enseignants répartissent la danse sur toute la journée. Pour le reste du Canada, la danse fait généralement partie des beaux-arts. Ainsi, en Ontario, les grandes classes peuvent suivre des cours de danse divisés en trios sections : théorie, création et analyse. Les élèves apprennent d’abord la théorie de la danse, les notions et les conventions qui assurent les bases, et enfin le contexte culturel de la danse, aujourd’hui et dans l’histoire. Ensuite, ils montent de courtes chorégraphies et perfectionnent leur technique. Finalement, ils analysent et revoient leur travail, dégageant des liens entre eux et le monde qui les entoure. À l’inverse, en Colombie-Britannique, l’initiation à la danse se fait surtout en étudiant les cultures d’où vient la danse. Les élèves des petites classes apprennent à se déplacer de différentes façons et à interpréter les formes que l’on retrouve à travers le monde. Dans les classes intermédiaires, ils apprennent l’équilibre, l’agilité et la capacité à suivre rythme et tempo. Dans les grandes classes, les élèves créent des séquences de danse et appliquent les principes du movement à leurs chorégraphies, tout en apprenant le contexte culturel, historique et social des différentes danses.
Les curricula de nombreux conseils scolaires insistent sur le développement du caractère, sur le fait de former des individus qui deviendront des personnes épanouies. « Les arts constituent l’un des rares domaines qui permettent de former le caractère, le caractère de la personne, parce que nous demandons {aux élèves} de faire des choix », explique Mme Pomer. « La danse donne la force, non pas physique, mais mentale. » Lorsqu’un élève apprend à danser, il ne se contente pas d’apprendre des pas. Il découvre qui il est, qui sont les autres, que sont ses émotions. « L’outil que nous utilisons est le mouvement, et le résultat que vous voyez, c’est aussi le movement », poursuit-elle. Mais c’est le processus entre l’apprentissage d’un mouvement et son utilisation dans la transmission d’une idée ou d’une émotion par le langage du corps, qui construit véritablement le caractère même de l’élève.
Dans tout le Canada, de nombreux enseignants ont besoin d’un peu de formation professionnelle avant de pouvoir enseigner la danse et d’en tirer tous les avantages. Dans la plupart des villes, on propose des ateliers et des séminaires, et une fois que les enseignants sont formés, le vocabulaire de la danse est facile à intégrer. De même, on peut partir du mouvement créatif pour enseigner de façon concrète certains sujets.
« Il est important de repousser constamment les contours de ce qu’est la danse », précise Bobbi Westman. Il faut commencer très tôt à enseigner aux enfants en quoi consiste la danse. « Les faire commencer jeune et continuer ensuite pour qu’elle se développe », ajoute Mme Pomer. Si les élèves apprennent la danse lorsqu’ils sont petits, ses bénéfices – empathie, compassion, responsabilité, travail d’équipe et sens de la communication – vont se développer et transparaître tout au long de leur vie.
Inscrivez-vous à un ou deux ateliers, parlez de danse avec d’autres enseignants, et rien ne devrait vous empêcher d’intégrer la danse dans la classe. « Que coûte la danse ? », demande Mme Pomer. « Rien. Il suff it d’un peu de place. »