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Les hauts et les bas de la biologie spatiale à l’école secondaire

Les hauts et les bas de la biologie spatiale à l’école secondaire

Par Lesley Roberts and Richard Wassersug, Ph.D. [Translate]

Les héros de ce récit sont un scientifique et un groupe d’élèves de l’école secondaire. La trame : une collaboration peu ordinaire, mais extrêmement fructueuse, pour mener à bien un projet scientifique. Vous trouverez ci‑après une description des événements qui se sont succédé – ainsi que la façon dont vous pouvez mener une expérience similaire dans votre classe – d’après Lesley Roberts, une des élèves, et Richard Wassersug, le scientifique.

Photo : courtoisie de l'ASC. L'équipe de scientifiques et d'élèves ainsi que les responsables de l'ASC et du CNRC devant l'avion utilisé pour l'expérience de vol parabolique.

Tout a commencé par une offre fort tentante de l’Agence spatiale canadienne (ASC) à Richard au cours de l’été 2003. L’ASC lui a demandé s’il aimerait faire une expérience de vol parabolique dont il concevrait personnellement les paramètres, sans qu’il ne lui en coûte rien. Les expériences de vol parabolique ont lieu à bord d’un avion à réaction que le pilote cabre en altitude avant d’accélérer et de couper les gaz pour injecter l’appareil dans une trajectoire parabolique.

Pendant 20 secondes, tout ce qui se trouve dans l’appareil fait l’expérience de l’apesanteur – ce qu’on appelle également chute libre ou microgravité – exactement comme lors de la mise en orbite d’une navette spatiale. Si ces 20 secondes représentent un court intervalle de temps par rapport à un vol orbital, ce temps est suffisamment long pour qu’on puisse observer les mouvements réflexes des animaux à la microgravité, sujet que Richard a exploré par le passé, et qui lui a fait accepter rapidement l’offre de l’ASC. Il y a vu la possibilité d’observer les réactions d’animaux qui n’avaient jamais auparavant fait l’expérience de l’apesanteur dans un tel environnement.

L’accès à un appareil, en particulier de ceux qui peuvent effectuer en toute sûreté des trajectoires paraboliques, est coûteux et difficile. L’ASC acceptait de prendre en charge tous les frais associés à l’expérience, y compris le coût d’utilisation d’un appareil du Conseil national de recherches (CNRC) spécialement modifié pour le vol parabolique. Mais l’ASC mettait une condition à cette invitation. L’Agence voulait que le projet constitue une expérience d’apprentissage pour un groupe d’élèves de l’école secondaire. Richard avait toute latitude quant au projet de recherche et au choix de l’école.

L’objectif de l’ASC était de mettre sur pied un programme propre à inciter les élèves du secondaire à poursuivre une carrière scientifique, en particulier en recherche spatiale. Le projet de Richard allait être un test pour un tel programme.

L’Armbrae Academy est une école secondaire privée de très haut niveau située non loin du campus de l’Université Dalhousie, en Nouvelle‑EÅLcosse, où Richard travaille. Sa proximité par rapport au campus en a fait un choix évident pour la collaboration entre le scientifique et l’école. L’école fut enchantée de participer au projet et elle organisa un concours de rédaction pour déterminer quels seraient les six élèves de la 11e et de la 12e années appelés à faire partie de l’équipe de Richard. Lesley Roberts était du nombre.

En octobre 2003, les membres du projet commencèrent à se réunir en équipe pour planifier l’expérience. On prévoyait que l’appareil serait stationné à Halifax pendant deux jours à la fin de mars 2004, ce qui laissait six mois pour accomplir plusieurs tâches :

1) concevoir l’expérience;
2) préparer la documentation approuvée par l’Université Dalhousie et le CNRC pour importer et étudier des animaux vivants;
3) acheter ou construire le matériel nécessaire;
4) sélectionner les animaux requis;
5) mettre à l’essai le matériel.

Richard avait décidé d’observer le comportement d’amphibiens et de reptiles exotiques en raison de données limitées qu’il avait accumulées sur des grenouilles, des lézards et un serpent observés auparavant lors de vols paraboliques effectués au Japon et aux EÅLtats‑Unis. Il voulait savoir si face à la microgravité, les animaux qui vivent sous terre (espèces fouisseuses) auraient des réactions différentes de celles d’espèces aériennes ou arboricoles apparentées. Selon l’hypothèse de Richard, les espèces fouisseuses, qui émergent rarement à la surface, peuvent ne jamais avoir fait l’expérience d’une chute naturelle et ne pas être adaptées à la chute libre. Son hypothèse était que les espèces arboricoles peuvent être mieux adaptées à la microgravité, par le simple fait qu’elles tombent occasionnellement lorsqu’elles sautent d’un endroit à l’autre ou lorsqu’elles sont poursuivies par des prédateurs ou des rivaux. En sollicitant, en empruntant et en achetant à l’occasion, le groupe réussit à se constituer une ménagerie de plus de 50 spécimens de 23 espèces d’amphibiens et de reptiles exotiques. En mars, les élèves avaient en leur possession des amphibiens fouisseurs (caeciliens), des lézards sans pattes (amphisbènes), des scinques aériens (espèces avec et sans pattes), des geckos aériens ou arboricoles et des serpents. Plusieurs de ces espèces sont rares en captivité et leur importation au Canada nécessitait un permis.

De façon à documenter leur comportement en microgravité, nous avons conçu les cages et les avons équipées d’un éclairage spécial, de sorte que 20 individus en même temps puissent être enregistrés individuellement sur vidéo à bord de l’appareil. Pour ménager leurs fonds, les élèves ont magasiné leurs vidéocaméras aux enchères sur eBay. Ils ont réussi à se procurer ainsi 22 vidéocaméras et à économiser plusieurs milliers de dollars. Le CNRC les aida à acheter des bâtis pour arrimer conteneurs et caméras embarqués.

On observa relativement peu de mouvements chez les amphibiens et les reptiles très fouisseurs au cours de la chute libre, mais la plupart des reptiles avec pattes qui n’étaient pas arboricoles ont été agités de soubresauts et se sont débattus dans tous les sens en apesanteur. En revanche, tant les geckos arboricoles que les autres ont adopté des postures de nage aérienne bien maîtrisée au cours des paraboles (aucun animal n’a été blessé au cours de l’expérience et tous étaient indemnes à la fin).

L’étude a permis d’observer davantage d’espèces d’amphibiens et de reptiles que toute autre catégorie de vertébrés. Et, grâce à l’expérience, on sait maintenant que les types de comportement qu’adoptent ces organismes en apesanteur sont prévisibles à partir de leurs relations écologiques et taxonomiques.

Au cours de l’été 2004, deux groupes ont consigné par écrit les résultats, qui ont été publiés dans la revue Zoology avec le nom de chaque élève comme coauteur.

Si l’on a beaucoup appris des réactions des amphibiens et des reptiles à la microgravité, on a aussi tiré de nombreuses leçons sur la conduite d’un projet de recherche scientifique avec un groupe d’élèves du secondaire. Les élèves ont fait une analyse approfondie, mais anonyme, de leur expérience. On s’est servi de leurs commentaries pour cerner les écueils et les erreurs à éviter dans le cadre de programmes faisant appel à la participation d’élèves du secondaire afin de mener à bien une recherche scientifique originale.

D’abord, il est important de ne pas perdre de vue les objectifs différents des collaborateurs. Dans cette étude, l’éventail des objectifs était considérable. L’ASC voulait mettre à l’essai et promouvoir un programme donnant à des élèves du secondaire la possibilité de participer à une véritable recherche. Le scientifique voulait savoir comment un groupe d’animaux qui n’avaient jamais été soumis à des experiences auparavant réagirait à son nouvel environnement.

Les motivations et les objectifs des élèves, toutefois, étaient plus diversifiés encore. Ils allaient du désir d’acquérir de l’expérience dans le monde scientifique à l’idée pragmatique que la participation à un tel projet ferait bonne impression dans un curriculum vitae.

Ce que ne doivent pas oublier les enseignants désireux de mener une expérience similaire, c’est que les motivations et les objectifs des élèves sont importants puisqu’ils aident dans la conduite du projet. Si l’on n’avait pas rappelé aux élèves la finalité du projet et leurs propres objectifs personnels, leur éthique du travail aurait peut‑être faibli. La création d’un climat de travail en équipe a stimulé la motivation au sein du groupe et a aidé à conserver l’éthique du travail. Cette ambiance a également créé un réseau de soutien pour les élèves, qui leur a été utile pour décompresser (lorsque c’était nécessaire) et pour s’encourager mutuellement dans les tâches difficiles.

Le groupe a découvert qu’une équipe de six personnes est une taille qui donne de bons résultats dans le cadre d’un projet ne comportant qu’un seul mentor. Au nombre des obstacles, mentionnons toutefois le partage inégal des tâches. Il était parfois difficile de répartir la charge de travail de façon égale, en particulier lorsque les élèves travaillaient sur des aspects fort différents du projet.

Photo : R. Wassersug. Richard Wassersug et Lesley Roberts avec l'un de leurs sujets d'expérience

Si les élèves ont convenu que l’esprit de compétition au sein du groupe était l’un des aspects les plus positifs du projet, tous ont estimé que c’était une erreur de mettre un point final au projet dans un cadre compétitif, comme une foire scientifique. Comme le declare l’un d’entre eux, « le fait d’avoir un aspect compétitif déplace le centre d’intérêt au profit de la compétition et au détriment de la science. Par conséquent, si l’objectif est d’initier réellement à la science, je pense que la compétition, sous la forme d’une foire scientifique traditionnelle, est superflue, mais qu’un symposium ou un forum quelconque pour la présentation des résultats aurait pu être utile ».

Dans le questionnaire, l’un des principaux reproches des élèves a été que le scientifique était parfois péremptoire et ne réussissait pas toujours à leur expliquer convenablement les demandes ou les concepts. Ce manque d’explication n’était pas délibéré mais plutôt attributable au fait que, parfois, Richard supposait que les élèves comprenait les notions auxquelles il se référait alors que ce n’était pas le cas. Ces malentendus auraient pu être évités par une meilleure ommunication entre les enseignants de l’école et le scientifique.

Le mentor doit également être mis au courant de la charge de travail des élèves et des tensions auxquelles ils seront soumis, notamment les examens. Or, Richard ne connaissait pas la date des examens et lorsqu’il essayait de faire avancer le projet au cours de cette période, il était agacé par la lenteur des progrès.

La deuxième leçon est qu’il aurait fallu commencer le projet plus tôt, ce qui aurait permis d’éviter tous les conflits d’horaire susmentionnés. Le financement du projet, par l’intermédiaire d’une subvention gouvernementale, n’a pas été en place avant le début de janvier 2004, même si le projet avait commencé plus tôt en raison de la durée limitée de l’année scolaire et des dates préétablies pour le vol.

De même, les participants au projet n’ont pas été choisis avant le début de l’année scolaire où le projet devait être mené à bien. Il aurait été plus efficace de choisir l’équipe à la fin de l’année scolaire précédant le projet. La planification aurait pu alors se faire au cours de l’été.

Un appui financier adéquat était indispensable au succès du projet (merci à l’Agence spatiale canadienne!). Tant qu’on n’a pas les fonds, on ne peut que planifier mais non mener à bien la recherche. Le financement doit être en place tôt afin de permettre les achats necessaries pour le projet. Il faut donc disposer de tous les fonds requis avant de mettre en branle tout projet mené avec des élèves, si l’on veut avoir de bonnes chances de le réaliser en une seule année scolaire.

Cependant, tout le monde s’accorde pour dire que le projet a été un succès. Il est rare qu’un projet scientifique passe de l’étape de « l’idée » à l’étape de la publication en moins de deux ans. Peut‑être que notre groupe a eu de la chance. Compte tenu de notre réussite, nous aimerions que le programme de l’ASC soit offert à d’autres scientifiques et écoles secondaires du Canada (malheureusement, on nous a dit qu’à l’heure actuelle, l’ASC ne disposait plus de fonds pour en faire un programme permanent).

Il n’y a aucune raison pour que des alliances similaires entre scientifiques et écoles secondaires ne puissent être créées ailleurs pour mettre sur pied des projets qui n’ont besoin ni d’importants contrats du gouvernement ni d’avoir accès à du matériel extrêmement coûteux pour réussir (comme un avion à réaction).

Leçons Apprises

Commencer tôt
Des problèmes inattendus sont les raisons les plus courantes de l’échec des expériences. Pour éviter que les élèves soient déçus en raison d’échecs précoces propres à les dissuader par la suite de s’engager dans la recherche, il faut commencer le projet le plus tôt possible. Donnez-vous tout le temps voulu pour faire face aux imprévus. Envisagez de discuter de temps à autre avec les élèves des problèmes qui peuvent survenir et, ce, à chaque nouvelle étape.
Encouragez-les à prévoir pour prévenir les problèmes
Arrangez-vous pour que tous les fonds soient en votre possession dès le début. Établissez votre budget en prévoyant tous les coûts imaginables, mais mettez également en place une stratégie pour faire face aux imprévus si vous manquez d’argent. Le manque de financement est une autre raison importante qui fait que des recherches tournent court.
Définissez les objectifs : tant ceux du scientifique que ceux des élèves
Il est parfaitement raisonnable que les élèves aient des objectifs à court terme et plus immédiatement égoïstes pour participer à la recherche – comme le sentiment que cela les aidera à être admis dans un collège. Cet élément aura une incidence sur leur emploi du temps. Par exemple, si être accepté au collège est une plus grande motivation que recueillir des données, les élèves peuvent accorder la priorité à remplir leur demande d’acceptation au college plutôt qu’à la collecte de données. Les deux parties doivent connaître leurs divergences en ce qui a trait à la motivation et les accepter.
Accepter le fait que certains élèves travaillent mieux lorsqu’ils se rapprochent des échéances
Souvent, les meilleurs élèves sont ceux qui font leurs devoirs la veille du jour où ils doivent les rendre. On ne peut pas s’attendre à ce que des élèves de ce genre, qui ont obtenu de bonnes notes dans leurs études jusqu’alors, changent leurs habitudes de travail même si le projet de recherche n’a pas véritablement de date limite. La seule façon d’éviter d’être à court de temps est de s’assurer que les élèves mènent à bien de nombreux sous‑projets dans des délais serrés et avec des échéances bien définies.
La participation des élèves devrait se poursuivre jusqu’à la publication
Les élèves obtiennent leur diplôme et vont de l’avant. Toutefois, si l’on veut qu’ils comprennent bien la démarche scientifique—c’est‑à‑dire quelque chose qui dépasse de beaucoup la simple collecte de données – ils doivent avoir idéalement la possibilité de travailler à la production et à la présentation du travail écrit, afin de mener à terme la recherche jusqu’à la publication. Même s’ils ne participent pas activement à la production de l’article scientifique, il convient de les tenir informés de tout le processus.

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